Depuis plus de quarante ans il fait rire les gens
Polper : « Il est difficile de faire le clown »
Grock, Charly Rivel, les Fratellini, les Cavallini. De grands clowns qui ont marqué ce XXe siècle, qui ont enthousiasmé, qui ont fait pleurer des foules. Ces grands personnages du rire, un Chaux-de-Fonnier les a bien connus, les a côtoyés : Polper ou Paul Perrenoud. Cet homme à l’abord extrêmement sympathique, chez qui se dégagent une franche amitié, un souci de faire plaisir, aurait pu s’inscrire dans la ligne de ces grands artistes, connaître un succès international si vers les années 1925, comme beaucoup d’autres gens d’ailleurs, il n’avait pas connu les difficultés financières. Pourtant Polper ne regrette rien. Clown il l’a été, il l’est toujours et espérons de tout coeur qu’il le sera encore très longtemps. Nul n’est prophète en son pays, c’est bien connu, mais qui à La Chaux-de-Fonds au moins une fois dans sa vie n’a jamais vu ce clown et sa fidèle compagne Lyl dans des numéros comparables à ceux présentés par des professionnels. En tout cas si vous n’avez jamais assisté à l’un de ses spectacles, ne, manquez pas la prochaine occasion où il se produira dans la région. Vous ne le regretterez pas !
Tout gosse, Paul Perrenoud rêva d’être clown, d’amuser les gens, de leur apporter un peu de gaieté. « J’ai toujours admiré les comiques », déclare-t-il. Et de poursuivre : « C’est à l’ancienne Boule d’Or réputée pour ses caf’cons, à l’âge de dix ans que me vint l’idée de me produire sur les planches. Rêve fou sans doute mais j’y ai cru. Après mes études à l’École d’art - j’ai toujours aimé le dessin — je suis monté à Paris pour travailler comme graphiste. J’ai réalisé plusieurs affiches de cinéma, de théâtre et de cirque. Et c’est par le dessin que j’ai approché, que j’ai commencé à connaître le monde dont je rêvais. C’est ainsi que j’ai connu les Cavallini, Grock. Je les admirais. J’ai d’ailleurs eu l’honneur de créer l’affiche annonçant la réouverture, la reprise des spectacles du Cirque Médrano.
Polper et sa compagne lors d’un de leurs nombreux spectacles Si à cette époque j’avais eu quelques sous, il est problable que j’aurais tenté la grande aventure. Mais voilà, n’ayant que le minimum pour vivre, je n’avais pas les moyens d’acheter un costume. De retour en Suisse, l’incertitude régnait. J’ai eu la chance d’obtenir un poste à l’Ecole des travaux féminins comme professeur de dessin, un poste que je n’ai quitté qu’à l’âge de la retraite ! Ce choix, je ne le regrette pas. Au contraire. Il m’a apporté d’immenses satisfactions et m’a permis de faire la connaissance de mon épouse Lyl, à qui je dois beaucoup dans la réussite de ma carrière et dans les moments difficiles. A la mort de mon frère Gaston, dit Tonty, avec qui je faisais équipe depuis quinze ans et qui fut terrassé fort jeune par la maladie, je me suis trouvé un peu déboussolé. Je pensais tout arrêter. Finalement, Lyl a été pour moi d’un précieux secours. C’est grâce à elle finalement que je suis remonté sur les planches Nous avons décidé de faire équipe tous les deux. Au début ce ne fut pas facile. Mon épouse ne connaissait rien à ce métier. Mais elle s’y est mise rapidement . Elle appris à jouer de plusieurs instruments. Depuis de nombreuses années, elle est devenue un partenaire absolument indispensable ».
« Au début ce fut pour moi une gageure. Je ne me sentais pas faite pour ce métier. J’avais peur du public. Mon mari m’encouragea et me fit découvrir les beautés d’une profession à laquelle jamais je n’aurais imaginé me destiner », explique Lyl.
Pour Polder et son épouse les souvenirs sont nombreux. De quoi écrire un roman ! « Et des bons, poursuit-il. Un soir, lors d’une représentation à Bienne, j’ai dû remplacer au pied levé, l’un des frères Cavallini, Rodolpho, qui se trouvait au fond de son lit, malade. Le public n’a rien vu. Ce soir-là, j’ai eu le sentiment de recevoir mon diplôme de professionnel. A la fin du spectacle. Roberto m’a dit : Polper tu as été formidable ! Tu es un bon clown et non un gâche-métier. Il est facile de plagier les autres, ceux que l’on admire. Pour ma part, je me suis toujours efforcé de faire preuve de personnalité. Tous les numéros que je présente sont sortis de mon imagination et non de celle des autres. C’est peut-être pour cela que les grands clowns m’ont toujours porté une belle amitié. Le jour où nous avons présenté à Neuchâtel notre spectacle devant vingt-deux conseillers d’État, en fonction où à la retraite, fut un moment particulièrement émouvant. Nous les avons fait rire comme s’ils avaient retrouvé leur jeunesse ! »
Un métier difficile
« Il est difficile de faire le clown. C’est un métier qui demande d’énormes qualités et surtout beaucoup d’expérience et de maturité. Plus on prend de la bouteille, de l’âge, meilleur on devient. C’est un peu comme le vin. Pour être un bon clown, il faut aussi éviter de verser dans la vulgarité. Il faut simplement rester humain, attacher beaucoup d’importance à son maquillage, ne pas paraître grotesque. Bien entendu, il faut également montrer de l’enthousiasme. Chaque entrée sur scène doit être une aventure qui recommence sans cesse. Chaque jour nous répétons. Notre numéro, pour curieux que cela puisse paraître, est réglé comme une horloge. Toutes les répliques sont connues par coeur. Bref, il n’y a aucune improvisation. Autre chose sur laquelle je tiens à insister. Je ce sais pour quelle raison, mais on s’imagine toujours que les clowns vivent dans un monde de tristesse. C’est une légende à bannir, personnelle je suis heureux et j’ai rencontré une foule de clowns heureux, contents de se trouver sur cette terre. S’il existe des clowns malheureux, ce sont ceux ne savent plus faire rire !
» Le public a toujours été formidable avec nous. Il nous a apporté d’énormes satisfactions, tant en Suisse romande qu’à l’étranger. En Alsace par exemple, où nous nous sommes rendus plusieurs fois, nous avons rencontré des gens enthousiastes, réceptifs et qui nous ont réservé un accueil très chaleureux. Je souhaite pouvoir poursuivre cette profession, amuser enfants et adultes encore longtemps ». Espérons que ce voeu se réalise et que Polper et Lys continuent à perpétuer la tradition des clowns classiques, une tradition qui souhaitons-le ne s’éteindra jamais !
Source : L’Impartial, 29 novembre 1979, Michel Deruns