PAUL PERRENOUD
sa vie, son oeuvre, résumées en quelques lignes
Si les peintres ont souvent trouvé un sujet de prédilection avec les clowns, il en est un qui a fusionné avec eux, tantôt peintre, tantôt clown, artiste peintre, artiste clown, tantôt l’un, tantôt l’autre, mais dans la vie, les deux à la fois. Il est difficile de différencier l’un de l’autre, finalement ces deux ne font qu’un, deux facettes du même homme et cet homme c’est Paul Perrenoud alias PoIPer autant pour le peintre que pour le clown.
Son père René Perrenoud était imprimeur à la Chaux-de-Fonds, il avait sa propre imprimerie et était connu et reconnu pour la qualité de ses travaux, il avait un don certain pour la mise en page et le graphisme, mais aussi pour avoir un caractère bien trempé. On lui confiait volontiers l’impression des affiches pour le théâtre et autres spectacles tout en sachant que le résultat serait toujours bon, mais également la réalisation de logos pour les entreprises locales et lorsque le régisseur des annonces du principal journal local (L’Impartial) trouvait mauvais le graphisme d’une société, il envoyait cette société se refaire le portrait chez Monsieur Perrenoud, l’imprimeur Perrenoud.
La relation privilégiée que cette famille entretenait avec les artistes a sans aucun doute favorisé chez Paul l’éclosion de son talent artistique, d’autant plus qu’il héritait naturellement aussi de la fibre paternelle en la matière. Il est né en 1910 à la Chaux-de-Fonds, ville qu’il ne quittera que trois ans pour Paris où il pourra rencontrer et travailler pour les plus grands artistes de l’époque dont Grock le plus célèbre clown de tous les temps.
Il suivit toute sa scolarité à la Chaux-de-Fonds, gymnase et école d’art où il acquit la formation de bijoutier en 1929 ; cette profession avait l’avantage de stimuler autant son talent de dessinateur, que de déboucher sur une profession liée à l’industrie. Baigné dans les arts graphiques dès son enfance, il aimait depuis tout petit les clowns et les dessinait déjà, c’est à l’âge de dix ans qu’il eut la révélation lors d’un spectacle au cabaret Chaux-de-Fonnier de La Boule d’Or, en regardant jouer le clown Andref :
« être clown » lui aussi.
Dès cet instant il avait trouvé sa vraie vocation mais sans pour autant abandonner le dessin et la peinture qu’il aimait aussi passionnément. En famille, il se produisait en clown avec son frère Gaston alias Tonty et plus tard ils débutèrent ensemble une carrière dans cet art de music-hall jusqu’au décès de ce frère tant aimé qui survint en 1951.
Après l’école d’art, le travail était rare, c’était la crise de 1929, mais il pu quand même travailler un peu sur son métier tout en se partageant avec les arts graphiques au sein de l’imprimerie paternelle à la grande satisfaction de son père.
En 1932, il fut invité par Pierre Kramer, autre graphiste du cru et ami de PolPer déjà établi à Paris où ils partagèrent un atelier ; en ces temps là, temps de crise, ils ne pouvaient pas travailler comme salariés, cette mention était écrite en toutes lettres sur leurs passeports et c’est donc en indépendant que PolPer se fit connaître.
Toujours attiré par les artistes de music-hall et les clowns en particulier, il constata que les affiches du clown Grock n’étaient pas graphiquement à la hauteur du personnage et de sa propre initiative lui en proposa une de sa création ; c’est qu’il avait hérité le caractère fort de son père ce garçon. Un peu stupéfait, Grock qu’il rencontra dans sa loge au Cirque Medrano lui signifia qu’il n’avait pas besoin de belles affiches, que sa seule renommée faisait venir le public mais accepta cependant de regarder le travail de ce jeune téméraire, lorsqu’il apprit que celui-ci venait tout droit de la Chaux-de-Fonds, ville qu’il connaissait dans la mesure où il avait grandi entre le Col-des-Roches, le vallon de St. Imier et Bienne.
Stupéfait, émerveillé, fut-il à la découverte de cette affiche, (double portrait, en clown et en civil) Grock s’adressa à sa mère assise au fond de sa loge et lui dit : « tu vois maman, il n’y a pas que des imbéciles à la Tchaux » (selon les mémoires de Grock). Il lui commanda alors une deuxième affiche que PolPer exécuta immédiatement pendant la nuit et livra le soir suivant au célèbre Grock ; il fut conquis par le talent de PolPer, mais eu quant même une retenue lorsqu’il fallut régler la note.
PoIPer rappela à Grock ses propres paroles relayées par la presse : « il faut savoir faire payer son talent », mais PolPer dut rabattre ses prétentions, les temps étaient durs et Grock un peu pingre. Il obtint cependant et cela ne coutait rien au célèbre clown, de pouvoir apposer sur sa carte de visite : « PolPer affichiste et dessinateur officiel de Grock » , ce titre devait lui ouvrir la porte des plus grands artistes et ce fut le cas.
Il devint alors affichiste pour le théâtre, le cirque, le cinéma et le music-hall, il travailla pour le Cirque Medrano, pour Gaumont-Cinéma et Pathé-Natan, pour Gaby Morley, Lucienne Boyer, Greta Garbo, Michel Simon, Raimu et bien d’autres. Il fit aussi des caricatures pour les journaux dont « Paris Soir » mais les temps étaient durs, la concurrence vive et PolPer fut autant apprécié que mal payé ;aussi lorsqu’en 1935 il décrocha un poste de professeur de dessin artistique à l’école d’art de sa ville natale, il n’hésita pas trop à rentrer à la Chaux-de-Fonds.
Il put alors reprendre les spectacles clownesques des « Frérots » avec Tonty son frère qui faisait le Clown Blanc (il avait les mollets pour, selon Lyl, son épouse), fort d’une expérience nouvelle puisqu’à Paris il avait côtoyé les plus célèbres dont bien évidemment Grock, mais aussi Les Fratellini, Les Frères Cavalli, Charly Rivel, Zavatta, Dario & Bario et avec tous il nouera une amitié éternelle mais, Grock garda une place à part dans son coeur.
A l’école d’art où il professait dorénavant, il rencontra Alice, son élève et plus tard sa muse, son modèle, son épouse, la mère de ses filles et Lyl, Madame Lyl sa partenaire de spectacle.
Il n’arrêta pas son travail de graphiste et conçut pour l’imprimerie Coopérative notamment diverses affiches pour la Coop, les meetings politiques et son engagement au Parti Socialiste, suivant en cela la trace de son père, l’encourageront à militer contre le fascisme avec des caricatures qui valurent au Journal « La Sentinelle » des amendes sévères ; on dit même que les puissances fascistes étrangères s’étaient jurées de le capturer pour le fusilier et c’est alors qu’il changea de pseudonyme pour celui de : « SEVU » plus discret et moins facile à retrouver. La signature SEVU était toujours accompagnée d’un petit oiseau qui chantait si le sujet traité était réjouissant et qui tachait une fiente si le sujet était politiquement triste ; le clown n’était pas vraiment loin. Il fut remarqué pour ses affiches aux portraits politiques avec notamment ceux de Charles Naine et Paul Ernest Graber.
En 1951, le décès de son frère tant aimé mis un terme à la carrière des Frérots, les clowns Tonty et Polper ; le désarroi était grand, fallait-il continuer ? Continuer seul ou avec un autre partenaire ? Seul il s’y essaya, mais le coeur n’y était pas, le clown était triste, ses filles racontent qu’à cette époque, PolPer montait au grenier pour pleurer sur la malle contenant les affaires du frère clown, le frère complice tant apprécié. Pourtant le spectacle lui manquait, ne s’était-il pas fait la promesse à l’âge de dix ans de faire le clown ! Alors il fallait continuer, reprendre de l’assurance, rabâcher encore et toujours le nouveau spectacle en solo et c’est bien naturellement que son épouse Alice le faisait répéter et là... Révélation, stupéfaction, cette chère Alice, Lylou pour les intimes était faite pour lui donner la réplique, à croire même qu’elle était née que pour ça !
Le sort était jeté, Lylou apprit à plus de trente ans la musique, l’accordéon plus précisément et toutes les ficelles du métier, PolPer quant à lui jouait au moins de quatorze instruments, le clown musical était son créneau et Madame Lyl sa partenaire. De modèle, elle devint épouse et d’épouse, elle devint clown, quel beau parcours mais toujours modèle, toujours épouse et maman de leurs deux filles, un parcours à deux pour toujours et même au delà du décès de Paul au début de l’année 1999.
Un jour alors que les frères Cavallini se produisaient à Bienne, Rodolpho fut cloué au lit, terrassé par la maladie, alors c’est PolPer qui le remplaça au pied levé et se produisit au côté de Roberto qui le reconnu comme un vrai clown, tu n’es pas un gâche métier, tu es un vrai professionnel lui déclara-t-il, PolPer dira ensuite qu’il avait ainsi obtenu son diplôme de clown.
Nos premières rencontres eurent lieu quant à l’occasion, mon père servait de chauffeur aux artistes Pol et Lyl, je m’invitais comme passager dans la voiture et comme spectateur à leur production, plus tard devenu adulte, cette amitié continua et par le hasard des choses nous sommes devenus voisins pendant plus de quarante ans, continuant à se côtoyer ainsi que leurs filles qui nous font toujours le bonheur de leur amitié.
Parmi les amitiés des gens célèbres, il faut aussi signaler Bourvil, Les Frères Jacques, Gilles & Urfer, Dimitri, Raymond Devos et Ricet Barrier, mais PolPer était naturellement très accessible aux simples gens et tous ceux qui ont lié amitié avec lui savent combien ce lien était profond et précieux.
Nos familles se sont rencontrées au travers de l’imprimerie à l’époque des grands-pères, Pol et Lyl avaient le même âge que mes parents, ils se fréquentaient et s’appréciaient, leurs enfants que nous sommes continuent avec bonheur cette tradition. Quand l’âge venu, Paul me disait : « bonjour Alain », le timbre de sa voix était resté le même avec le même sentiment, l’amitié était restée.
Il était fidèle ce PolPer, il avait conservé l’amitié des plus grands connus à Paris, comme des plus petits connus ici, Grock raconte dans ses mémoires que lors d’un passage à la Chaux-de-Fonds où il se produisit sous un chapiteau dressé sur la Place du Marché, il eut le bonheur de rencontrer son vieil ami PolPer, il en était de même avec Bourvil quand il venait de par chez nous. A Paris il avait conservé ses entrées dans les théâtres où il allait régulièrement rencontrer ses amis stars et lors de ces rencontres, pour le plaisir il leurs tirait le portrait, il en était de même au Cirque Knie dont il fut membre d’honneur, les artistes lui ouvraient spontanément la porte de leurs roulottes, reconnaissant ainsi l’un des leurs, se souviennent Loyse et Christine ses deux filles.
En Suisse Romande le duo PolPer et Lyl était connu de même qu’en France et notamment en Alsace où il se produisait régulièrement, il glissait souvent dans son texte : « je parle français pour que tout le monde me comprenne » alors qu’on lui demandait quelques mots en langage local qu’il ne connaissait pas. Ils eurent aussi l’occasion de se produire au Festival d’Avignon et au théâtre de Montauban en compagnie des Frères Jacques et de Ricet Barrier, lieux qu’ils retrouveront pour des expositions de portraits et d’affiches.
En famille, Paul avait toujours un mot pour faire rire ses proches, aucune situation coquasse ne lui échappait, le clown, le caricaturiste n’étaient jamais loin et Lyl nous racontait que lorsque, en voyage, il sortait son carnet de croquis et sa boîte d’aquarelle, elle savait qu’il fallait faire longtemps dans les magasins (même qu’elle n’aimait pas ça) afin que Paul puisse faire son esquisse en couleur, c’était en quelques sortes son appareil de photo.
Le temps passe, Paul a tiré sa dernière révérence au début d’année 1999, Lylou a perpétué son souvenir tant que ses forces le lui ont permis, mais en fin d’année 2015 elle a dû prendre la décision de quitter son appartement, ses filles ont alors hérité du patrimoine et du souvenir artistique de l’artiste, le peintre, le dessinateur et le clown ; à elles maintenant de prendre le relai du souvenir et de continuer à faire vivre et connaître l’oeuvre du père, de PaulPère.
Alain Girardin, La Chaux-de-Fonds, été de l’année 2016