Philippe Grosbéty. Art et sérénité.

BEAUX-ARTS • Le Musée d’art et d’histoire de Neuchâtel réhabilite un peintre loclois qui tomba dans l’oubli lorsqu’il décida de passer du figuratif à l’abstraction

 

Pour Grosbéty, l’art et la sérénité tenaient du perpétuel jeu d’équilibre

 

A plusieurs reprises déjà, le Musée d’art et d’histoire de Neuchâtel et les Editions Gilles Attinger ont mis en lumière des artistes neuchâtelois peu connus ou négligés. C’est une entreprise de valorisation régionale intelligente. Cette fois-ci, leur collaboration ressort de l’ombre l’oeuvre d’un peintre loclois, Philippe Grosbéty (1905-1988). Son travail était tombé dans l’oubli simplement parce qu’il avait évolué d’une figuration expressionniste à une abstraction dépouillée. Une évolution que le public de ce coin de pays n’a pas suivie. Et l’artiste ne va rien faire pour être compris. « L’art n’est pas un agenouillement dira-t-il. Ajoutez à cela une origine ouvrière et un itinéraire d’autodidacte, et vous prendrez la mesure du mépris... et de la trahison. Je n’étais plus social. »

 

Une peinture vigoureuse

 

Les oeuvres présentées dans l’exposition sont pourtant d’une qualité extrême, aussi bien dans leur facture que dans l’écriture. Quelques caricatures des débuts démontrent une habileté de la main et un sens de l’ellipse parfaits. Ainsi, d’un trait enlevé mais précis, Grosbéty lie lunettes, oeil et nez d’un des personnages. De leur côté, ses portraits peints sont affirmés, traités vigoureusement au couteau à peindre et on y décèle l’influence de Georges Rouault, un artiste qu’il appréciait.

 

Grosbéty est en effet informé de ce qui se fait ailleurs, il voyage, et travaille même après la guerre dans le nord de la France. Sa peinture est alors sourde, illuminée de quelques éclats. Comme dans cette huile sur carton de 1944, Les Pommes, où les fruits apparaissent comme trois petites lumières éclairant la nuit.

 

Ses paysages sont plus dépouillés. Une tendance qui va l’emporter, après la période des années 40. Son expressionnisme se fait plus symboliste. Et, à partir des années 50, la couleur devient un instrument de la composition. Cela donnera parfois des choses très caustiques lorsque, par exemple, Grosbéty peint une grosse tache rouge dégoulinante sur une toile rouge et la titre Chirurgie (avant 1965). Mais, surtout, c’est la perception des structures qui prend le dessus. L’artiste hésite toutefois, donnant tantôt la priorité à l’armature - Le Moulin à café (vers 1960), dessiné au trait noir sur un fond monochrome jaune -, tantôt à la masse - La Muraille (vers 1960-65) ou Les Flacons (vers 1965), dessinés en silhouettes pleines. Et si finalement la structuration par masses l’emporte, les traces de la figuration persisteront encore un moment. Mais en proposant de belles simplifications, comme Le Maillot à rayures (vers 1960-65), L’Arbre (1962) ou Profil (vers 1965-67).

 

Vers la fin des années 60, la peinture de Philippe Grosbéty tend résolument vers l’abstraction. Et plus l’hostilité du public grandit, plus ce langage permet à l’artiste de trouver la sérénité.

 

« Le client ne compte pas. L’oeuvre, voilà ce qui compte ; l’œuvre réalisée pour soi. » Cette formule de Brancusi, Grosbéty l’avait épinglée au mur de son dernier atelier. Un coin de celui-ci a été reconstitué au musée. On y voit ses tubes, ses pinceaux, sa pipe et une pile de livres de Simenon. Une photo nous restitue la silhouette bourrue de l’artiste et on l’imagine dans la peau de Maigret, désillusionné par le genre humain mais trempé par une certaine philosophie de vie.

 

Un personnage à la Maigret

 

Dans ses peintures s’installent des formes à la fois simples mais peu évidentes ou sont constituées de grandes plages de couleurs traitées en aplat et juste troublées par une dissonance en contrepoint. Les accords de tons sont généralement recherchés (vanille, taupe, prune, noir) mais aussi quelquefois volontairement tendus (rouge et noir) en fonction de répartitions étudiées. Cet art s’est apaisé, est devenu plus doux et d’un équilibre impressionnant. Pourtant, il laisse clairement entendre que c’est un état qu’il faut savoir conquérir, aménager et soigneusement entretenir. C’est d’une haute exigence, et il n’est pas étonnant que ces propositions, même inconsciemment perçues, aient dérangé.

 

Philippe Mathonnet, 15 février 2000, Le Temps

 

- PHILIPPE GROSBÉTY - UN PEINTRE ENTRE COLÈRE ET MÉDITATION.
- Musée d’art et d’histoire de Neuchâtel (jusqu’au 30 avril 2000).