Polper contre le fascisme

SOUS LE MASQUE L’ILLUSTRATEUR...

 

 

La Chaux-de-Fonds - Le Festival Grock est l’occasion de se souvenir de Paul Perrenoud, dit Polper un affichiste de talent passionné de music-hall et dessinateur officiel du clown

 

De toutes les personnes qui se réjouissent à l’idée du Festival Grock, Lyl, 80 ans, est certainement la plus impatiente. Dans son petit appartement sis sur les hauts de la ville, affiches, photos ou sculptures, tout évoque que le cirque et les quelque 50 joyeuses années où elle fut la partenaire ; à la scène comme à la ville, de Paul Perrenoud, dit Polder, le dessinateur officiel de Grock, disparu en 1999.

 

De la flûte avec le nez

 

« J’ai dû apprendre à jouer de l’accordéon à passé 30 ans ! », se souvient Lyl, en riant. A l’origine du duo clownesque formé avec son époux, un triste souvenir, le décès de Gaston, dit Tonty, le frère et partenaire de Polper. « Ils avaient débuté ensemble encore tout gosses. Tonty jouait le rôle du clown blanc : il avait les mollets qu’il fallait pour çà ! » sourit-elle. Très éprouvé par la disparition prématurée de son frère, Polper tente quelques représentations en solo, puis invite sa jeune épouse à lui donner la réplique sur scène.

 

S’ensuivront 42 années de pitreries, entre vie de famille - le couple a deux filles - et l’École d’art de La Chaux-de-Fonds, où Paul Perrenoud enseigne. « Quarante ans de clowneries et 50 ans, d’enseignements », avait-il coutume de lire.

 

« Paul était très doué, se souvient Lyl. Bijoutier de formation, il était très bricoleur, ce qui lui a énormément pour ses numéros. Il avait, par exemple, bidouillé des flûtes pour pouvoir en jouer par le nez ! »

 

Né à La Chaux-de-Fond en 1910, il ne quittera quasi pas le quartier des Combettes, qui l’a vu naître, jusqu’à sa mort, en 1999. A peine s’éloignera-t-il quelques années, au début des années 1930, pour Paris, où l’attend son ami Pierre Kramer.

 

Là, avec l’Imérien Henri Aragon, ils fondent un atelier de graphisme. On les surnomme « Les trois Suisses ». Il a alors 22 ans, est passionné de music-hall, mais n’a pas toujours d’argent pour aller au spectacle. Pour contacter les artistes et les intéresser à ses projets d’affiches, il fait du porte-à-porte et atterrit tout naturellement dans la loge du clown Grock, pour devenir son « dessinateur officiel » (lire ci-dessous). Toute sa vie, il vouera à l’artiste une profonde amitié.

 

Jusqu’à ce que l’ombre de la Seconde Guerre mondiale se profile, le talent d’affichiste de Paul Perrenoud inonde le music-hall et le cinéma. On retrouve sa technique, très sobre, dans les quotidiens comme « Paris-Soir » et « L’Intran » ou à l’affiche des productions de Pathé Natan ou Gaumont-Cinéma. Les stars de ces années d’avant-guerre, Gaby Morlay, Lucienne Boyer, Michel Simon ou Raimu, sont toutes croquées par l’insatiable Chaux-de-Fonnier.

 

Contre le fascisme

 

De retour à La Chaux-de-Fonds, l’illustrateur poursuit son activité picturale, taillant dans le lino pour limiter les coûts de production. A la demande de l’Imprimerie coopérative, il réalisera plusieurs magnifiques affiches, dont les portraits de Charles Naine et du socialiste chaux-de-fonnier Ernest-Paul Graber, et une série de caricatures contre le fascisme naissant en Suisse. « On lui avait conseillé de prendre un pseudonyme. Il avait choisi de signer Sèvu, surmonté d’un petit oiseau, sifflant si le sujet était gai, déféquant s’il était triste », s’est souvenue Lyl, avec bonheur. /SYB

 

Source : L’impartial, 1 septembre 2004, Sylvie Balmer

 


 

Affiche réalisée pour le clown Grock
Dédicace de Grock pour le jeune Polper

 

DESSINATEUR OFFICIEL DE GROCK

 

Un passionné au service d’une star

 

Paul Perrenoud a à peine plus de 20 ans lorsqu’il contacte Grock à Paris. Empli de l’audace qui sied à son jeune âge, il écrit au clown que les affiches de son film sont « indigne de sa renommée ».

 

Croisée plus tard dans l’intimité de sa loge, la star rétorque ne pas avoir besoin de publicité : « Il suffit de quelques personnes soient au courant pour que bientôt, dans toute la ville, il ne soit question que de l’arrivée de Grock, affirme-t-il. Mon nom, tracé en lettres fulgurantes, illumine chaque soir le fronton des music-halls. Les rues et les maisons en sont violemment éclairées et, dans les jardins, les oiseaux se réveillent, croyant l’aube venue. Le nom de Grock qui s’étale en gigantesques lettres de feu induit en erreur les navigateurs étrangers », peut-on même lire sur les premières pages de son autobiographie « Grock raconté par Grock ».

 

Malgré tout conquis par son « double portrait », la star décide de laisser sa chance à ce jeune « compatriote ». « Où avez-vous appris à dessiner comme ça ? » se serait-il enquis. « A l’Ecole d’art de La Chaux-de-Fonds, Monsieur Grock », aurait répondu Polper, ce qui aurait valu au clown cette réflexion devenue fameuse « Il n’y a pas que des imbéciles à la Tchaux ! »

 

Bien qu’il se félicite « de pouvoir aider un jeune Suisse de (son) Jura », le clown millionnaire rechigne tout de même à payer la facture : « Bien des artistes se contenteraient d’avoir leur nom à côté du mien… », juge-t-il. Qu’importe ! Sous le charme, Polper accepte de diminuer le prix de son travail et obtient l’autorisation d’imprimer sur sa carte de visite la mention « dessinateur de Grock », un cadeau inestimable pour le jeune illustrateur. /syb

 

Source : L’impartial, 1 septembre 2004, Sylvie Balmer