Polper, le cirque et la politique
UN CHAUX-DE-FONNIER AU SERVICE DU SPECTACLE
A l’affiche : le cirque et... la politique
Un souvenir ému pour l’affiche du cirque Médrano. C’est la première des oeuvre de Polper qui fut placardée dans le métro et sur les murs de Paris ! (Photo Impartial-Gerber)
Sorti à 19 ans de l’École d’art de La Chaux-de-Fonds, avec un diplôme de bijoutier, Paul Perrenoud (Polper) réalisa à Paris des dessins de mode et de tissus, ainsi que des clichés publicitaires pour les films Pathé-Natan, qui parurent dans les grands quotidiens, L’Intran, Paris-Soir, au début des années 30. Travaillant sans permis - c’était l’époque de la « grande crise » - il réussit à placer certains projets d’affiches pour le cirque Médrano, réalisa des affiches internationales pour Grock et pour des films distribués par Etoile-Film, Venloo, Pathé-Natan.
De retour à La Chaux-de-Fonds, il produisit des affiches politiques et publicitaires et publia des caricatures anti-fascistes dans la presse syndicale. En juillet 1934, Paul Perrenoud exposait au Musée des beaux-arts de La Chaux-de-Fonds, un ensemble de travaux réalisés à Paris, durant un séjour qui demeura unique dans sa carrière, après quoi il roula consciencieusement les affiches, les déposa dans sa chambre haute où elles reposèrent pendant 52 ans, jusqu’au jour où Roland Cosandey, recherchant de la matière pour l’exposition qu’il préparait pour l’été 1986 à Lausanne, « La Suisse romande entre les deux guerres », les découvrit.
Les affiches de Paul Perrenoud peuvent être vues actuellement au Musée de l’Ancien Évêché à Lausanne (place de la Cathédrale 4), jusqu’au 14 septembre, tous les jours de 10 à 12h et de 14 à 18h, jeudi jusqu’à 20 h.
L’aventure de Polper pèse sa moisson de souvenirs.
Polper raconte :
Tout a commencé par un portrait de Beethoven que je venais de terminer. Un de mes bons amis le voit et m’incite à continuer. Je sortais de l’École d’art, diplômé en bijouterie. C’était le chômage. Il fallait que je me débrouille. Porté par les encouragements de mon ami, début 1932, cent francs en poche, je pars pour Paris.
Depuis mon plus jeune âge, j’aimais dessiner et j’adorais les artistes. J’avais dix ans, lorsqu’après une représentation du cirque Knie, je me sentis pris par une de ces irrésistibles pulsions venues on ne sait d’où mais qui allait compter dans ma vie...
Pour placer mes affiches à Paris, je faisais du porte à porte. Un jour que je présentais l’un de mes projets à un directeur de salle, celui-ci me dit : allez à l’Empire ! C’est à une erreur que je dois d’avoir été introduit dans l’illustre music-hall, le réceptionniste avait annoncé « Polper sénateur ». Quand le gérant de l’Empire, M. Hayot, vit le dessinateur devant lui, il m’envoya chez Pathé-Natan. Sur sa recommandation je fus engagé par le chef de presse pour exécuter des dessins de clichés publicitaires qui paraissaient dans l’Intran ou Paris-Soir.
Comme je pensais que ceux qui pouvaient me commander une affiche, devaient la voir réellement, je leur soumettais une maquette au format réel. J’ai travaillé pour Gaumont, Etoile Film, Venloo, Braunberger, Richebé. J’ai fait des affiches pour Georges Milton, Florelle qui jouait dans « Les misérables », pour André Baugé, baryton, Lucienne Boyer, Arsène Lupin, pour Harry Piel, un Berlinois qui exerçait une fascination folle sur les foules, pour Victor Boucher, pour Gaby Morlay.
J’étais convoqué aux avant-premières, j’avais l’autorisation de faire des croquis. A l’époque les artistes étaient des dieux.
L’affiche que je préfère ? « Fanny », de Pagnol, avec Raimu, peut-être. J’ai un souvenir ému du cirque Médrano, c’est la première de mes affiches que je vis placardée dans le métro, sur les murs de la capitale...
Depuis toujours j’admirais Grock, je lui avais écrit, depuis La Chaux-de-Fonds, pour lui dire que la maison Sofar qui avait produit son film en 1931 avait fait des affiches indigne de lui. Je suis allé le trouver, avec un projet, qu’il a accepté. Il m’en a commandé d’autres, j’ai fait ses affiches internationales. Grock m’autorisa à m’intituler « son dessinateur officiel… cela vous posait un homme… c’était une corte de visite dans le domaine du spectacle...
Plus tard j’ai illustré le livre « Grock raconté par Grock », paru aux éditions du Pré-Carré, en 1980.
Rentré en Suisse j’ai réalisé encore quelques affiches pour l’Imprimerie coopérative qui m’avait demandé un projet pour Paul Graber, candidat du peuple au Conseil d’État. Il fallait tailler dans le lino, les moyens matériels étaient limités. Selon la même technique j’ai fait « Charles Naine », « Votez bleu », des affiches commerciales.
En juillet 1934, mes travaux ont été exposés au Musée des beaux-arts de La Chaux-de-Fonds, 200 pièces accrochées dans les salles du haut, après quoi j’ai tout plié et bien rangé à la chambre haute. Une autre passion me tenaillait. J’avais monté un numéro de clowns avec mon frère. Comme je terminais le spectacle par des caricatures, des syndicalistes m’ont demandé de faire des dessins dans leurs journaux contre le fascisme qui naissait en Suisse. J’ai accepté. On me conseilla de prendre un pseudonyme, je signais « Sèvu »
Source : L’Impartial, 10 septembre 1986, D. de C.