Une vie de clown, une moisson de souvenirs

Polper aux conférences du mardi

 

 

Devant une salle bien remplie, un Chaux-de-Fonnier insolite était mardi l’hôte des conférences du mardi : Paul Perrenoud ; profession : maître de dessin à l’Ecole d’Art ; violon d’Ingres : clown. Ou peut-être l’inverse : Paul Perrenoud, l’Auguste Polper a deux métiers. qu’il pratique avec bonheur. Vocation précoce, à l’âge de 10 ans, il va pour la première fois au cirque, y voit les clowns Cavallini ; masque blanc, et tête d’Auguste, ces visages le poursuivent. Sur une affiche, il découpe la tête de l’Auguste, la dessine pour, s’en souvenir à jamais. Il se met alors à aimer le dessin et à adorer les clown, Tonny, son frère, sera son partenaire dans les entrées clownesques des divertissements réservés aux copain, et déjà se prépare « Les Frérots », duo de clowns qui enchanta public chaux-de-fonnier et romand, malades hospitalisés, soldats mobilisés, et bien sûr enfants de partout des années 3O à 50.

 

Entre-temps, Paul avait terminé ses études à l’école d’art, était « monté à Paris », y avait travaillé comme graphiste et avait réalisé plusieurs affiches de théâtre, de cinéma et de cirque, renouant avec les clowns « C’est par le dessin que je les ai approchés, que je les ai bien connus », dit-il. Dans leurs loges, observant leurs maquillages, bavardant, il les ressuscita à traits vifs, avec un don pour la caricature, le détail. Tour à tour, Grock, ses chers Cavallini sont ses modèles, et lorsque le cirque Médrano rouvre ses portes, c’est par tout Paris, dans les couloirs du métro, dans les rues, qu’une affiche signée Paul Perrenoud l’annonce.

 

De retour en Suisse, les vocations enfantines se font impérieuses. L’amour du dessin le conduit à l’enseignement, et l’attrait du clown en fait un Auguste, l’ahuri victime de tous les malheurs, compagnon inséparable du clown blanc, beau parleur, dresseur, acrobate, représenté par Gaston Perrenoud, dit Tonty.

 

Malheureusement, ce dernier est terrassé fort jeune, par la maladie ; après quelque temps, Paul se remet au métier, et cette fois en compagnie de sa femme, Lyl. Elle est le « faire-valoir » du clown, habillée d’une robe noire, simple, suscitant la remarque, provoquant les situations. Depuis 20 ans, Polper et Lyl amusent enfants et adultes, à la Chaux-de-Fonds et dans le canton, en Suisse romande et ailleurs.

 

Un tel métier ne peut donner que moisson de souvenirs. Polper en a évoqué de nombreux lors de cette soirée, et ils seraient tous à relever, dénotant soit une grande humanité, un véritable amour, du métier, un respect de ce travail que Grock a élevé au niveau d’un art, sans compter toute, les réminiscences d’un temps passé à l’évocation de grands noms et de clowns célèbres rencontrés par notre concitoyen.

 

Rappelons peut-être les Cavallini, Rodolpho et Roberto, qui furent les premières idoles enfantines de Paul Perrenoud. Quand ils s’assirent une fois parmi les spectateurs des « Frérots », Paul et Tonty étaient tremblants comme à des examens. Les frères célèbres ajoutèrent la considération à leur amitié pour les jeunes amateurs et lorsqu’un jour, lors d’une représentation à Bienne, ils firent appel à Polper pour remplacer Rodolpho malade, le public ne s’en aperçut point. « Et j’ai eu le sentiment de recevoir mon diplôme de clown professionnel, lorsque ce soir-là, après le spectacle, Roberto m’a dit : « Paul, tu es un bon clown et pas un gâte-métier », raconte Polper.

 

Grock, ce Jurassien qui l’est resté, du moins dans son caractère et son accent, a une place de choix dans les souvenirs de Polper. Lorsque ce clown mondialement célèbre vint fêter ses 50 ans de métier au Locle, Paul Perrenoud était de la fête et Grock lui remit ensuite deux places pour le spectacle, « celles que je réserve en général à mon ami Charlie Chaplin ».

 

Tant d’autres encore, et le livre reste ouvert. Car Polper et Lyl continuent. Ils perpétuent la tradition du clown classique selon les règles, préparant chaque chose minutieusement, réglant les gags avec précision. Les deux passions s’entremêlant, sur scène il dessine aussi des caricatures, des sujets comiques. A quelqu’un qui lui demandait une fois où il avait appris à dessiner si bien, « A l’Ecole d’Art de la Chaux-de-Fonds », répondit-il. L’interlocuteur donna une bourrade à cet Auguste pince-sans-rire, ponctuée d’an « Sacré farceur ».

 

Pourtant, Paul Perrenoud est un maitre apprécié, d’autant plus peut-être avec ce second métier original. N’en a-t-il pas dit en conclusion : « ll y a 42 ans que je fais le clown. C’est un métier très sérieux » !

 

Source : L’Express, 7 mars 1974

 

 


 

La maison de Grock à Loveresse (BE)

POLPER, OU L’ART DE CONCILIER DEUX PROFESSIONS

 

Dans les coulisses d’une soirée sagnarde

 

Un spectacle récemment organisé à La Sagne, entre autres copieux aperçus de notre folklore, avait offert au public le privilège d’applaudir un artiste dont la renommée n’est plus à faire dans notre région. Musicien, fantaisiste et pitre avant tout, il était parvenu à déclencher plus d’une fois le rire à La Sagne, où ses apparitions judicieusement élaborées avaient bien heureusement assorti l’une touche comique une soirée tombée peut-être, sans lui, dans la monotonie. Ce maquillage excentrique, ces pantalons visiblement trop larges et ces chaussures démesurées, avec toute sa fantaisie, sa subtilité et son sens de l’humour, un artiste, un homme, les mettait en valeur : Paul Perrenoud dit « Polper », ce professeur de dessin chaux-de-fonnier qui a laissé tout au long de sa vie dans son existence d’enseignant, une part des plus importantes au métier de clown.

 

Événement insolite. très rare dans un village, la venue de l’un de ces êtres plein de poésie auxquels nous devons certainement tous nos plus beaux souvenirs d’enfance, nous a donné l’occasion, le spectacle terminé, d’approcher « Polper » . Et, dans sa loge, où dans de grandes valises avaient déjà été rangés les mille et un objet ; utilisés sur scène, démaquillé, il a évoqué les principaux jalons de sa vie et s’est attaché à décrire quelques aspects de cette difficile mais passionnante profession.

 

Une vocation précoce

 

Polper avoue avoir été fasciné comme chaque enfant par le monde merveilleux des clowns ; très jeune déjà, il avait pris l’habitude de dessiner les artistes. L’attirance de Paul Perrenoud pour le métier fut telle qu’après avoir terminé ses études à l’Ecole d’Art, il se lança avec son frère Gaston dans la réalisation d’un numéro très vite présenté avec succès dans tous les coins de la Suisse. Mais après vingt ans de travail commun, le destin qui mit fin à l’aventure des a Frérots » (Polper et Tonty) devait malheureusement enlever la vie à Gaston. Polper, qui joue soit dit en passant une douzaine d’instruments, trouva aussitôt une partenaire féminine, une ancienne élève, Lyl, avec laquelle il travaille maintenant depuis 20 ans. C’est en sa compagnie qu’il se produisit à La Sage. Sérieuse, austère même dans sa tenue sombre, elle a pour tâche principale de préparer le spectateur aux gags et aux facéties de Polper, « l’auguste », perpétuellement déphasé, naïf et plein d’humour.

 

Originalité dans les gags

 

Leur numéro, varié, dont Polper fidèle à sa conception du métier, a conçu tous les moindres détails, s’inscrit dans la ligne même du style classique. Pour Polder, il importe d’être strict et c’est sans doute pour cela que son numéro garde une fraîcheur et un ton tout à fait personnels. « Il y a différentes manières de faire rire, confie-t-il : on peut être grotesque ou vulgaire, emprunter le style tarte à la crème. Je préfère quant à moi paraître naturel et, dans la mesure du possible parce que c’est souvent très difficile, je m’efforce de faire rire en finesse et de donner un certain fond à mes gags ». Ajoutés à sa vocation de clown, à son talent d’amuseur public, ces principes de base qu’il ne trahit pas, sont bien entendu à l’origine du succès qui lui assure notoriété en Suisse romande et dans une partie de la France, dont il visite depuis quatre ans les villes de Mulhouse, Colmar et Avignon.

 

Talentueux caricaturiste

 

Un talent aussi dans le domaine caricatural qui lui a permis d’aborder les plus grands clowns du siècle. Grâce à son aisance dans le portrait, (qu’il exploite parfois sur scène) bien qu’il ne soit jamais parti lui-même avec les gens du voyage (parce qu’il ne voulait pas abandonner sa profession d’enseignant), il a côtoyé des personnages aussi chevronnés que les frères Cavallini, qu’Annie Fratellini et que Grock, « leur maître à tous ». Lorsque l’on pose à Polper cette question banale, usée : lequel de tous ces artistes vous a le plus impressionné ? il répond qu’il a trouvé chez chacun d’eux les qualités de vrais clowns. Les Cavallini surtout, que son frère et lui tenaient en respect. Au point qu’ils se mirent à trembler un soir de représentation où Roberto et Rodolpho avaient pris place dans la salle. Polper admire aussi la sûreté de Dimitri dont la renommée est d’autant plus méritoire qu’il parait seul sur scène. Mais Grock à coup sûr, avec qui il entretenait des relations très étroites, reste le plus immortel.

 

L’estime des grands

 

Mais si Polper a su gagner l’estime des plus grands, et ceci dans un métier qui n’était pour lui qu’un hobby, si un soir de gala, on l’a prié de remplacer au pied levé l’un des Cavallini malade, et si après cet inoubliable représentation ou la substitution avait passé inaperçue, Roberto lui avoua : « Polper, tu es un bon clown », c’est certainement qu’il appartient à leur famille. C’est qu’il possède les qualités requises pour y faire bonne figure. Selon cet ancien élève de l’École d’Art, faire rire ne s’apprend pas : on naît clown.

 

Démystification

 

« On croit trop souvent que les clowns ont une existence malheureuse. Balivernes ! Tous ceux que j’ai rencontrés dans leur vie professionnelle comme dans leur vie privée, avaient trouvé le bonheur ». Lui, Polper sans doute parce qu’il a su accorder les impératifs de sa profession aux exigences de sa seconde vocation, est un homme heureux. Heureux de faire rire, heureux d’affronter toujours un public différent, heureux d’éprouver, sans cesse renouvelée, l’impression de présenter un spectacle pour la première fois. « Il m’arrive parfois d’avoir le trac avant d’entrer en scène, dit-il, mais lorsque j’entends rire le public, je suis content, j’ai l’impression d’avoir rempli mon devoir, D’ailleurs le rire, c’est primordial pour Polper : il déteste les personnes invariablement sérieuses.

 

Cette passion du music-hall et son amour du travail bien fait jouent en vérité un rôle premier dans les captivantes évolutions de Polper sur scène. Et dans les coulisses, le personnage n’en présente pas moins un visage attachant.

 

Source : L’Impartial, 21 mars 1974, C. Sieber